« Me faire aider ? N’importe quoi, j’y arrive très bien toute seule ! »

Le ton est donné. Mercredi 16 octobre après-midi, a été donnée en salle de l’Obélisque à Senlis, une pièce de théâtre intitulée « A bout de bras » sur le thème de l’aide aux aidants. Plus de 50 aidants et leurs proches sont venus assister à la représentation de la compagnie de théâtre Entrées de jeu, proposée par la Mutualité Française Hauts-de-France avec ses partenaires, le Conseil Départemental de l’Oise et la Mutualité Sociale Agricole de Picardie. Un forum composait d’une vingtaine de stands tenus par des partenaires associatifs et entreprises du paramédical, proposait en plus, produit ou service pour accompagner l’aidant ; matériel médical, aide à la personne, centre d’accueil de jour, écoute psychologique, etc.

Avez-vous l’habitude des pièces de théâtre qu’il ne faut pas perturber, dans un silence de cathédrale et où le public est souvent passif ? Pas pour nous. D’abord, ce qu’on retient du spectacle, ce sont les rires et la façon dont les participants interagissent avec les comédiens. Et oui, « A bout de bras » démarre par de courtes séquences qui présentent différentes situations, la plupart problématiques, sur le quotidien des proches aidants. Rappelons qu’un « aidant » désigne toute personne qui vient en aide régulièrement ou quotidiennement à un proche atteint d’une maladie qui l’empêche d’accomplir certains actes de la vie de tous les jours. Âgés de 52 ans en moyenne, les aidants sont majoritairement actifs. Ils doivent donc s’organiser pour allier leur activité professionnelle avec l’aide qu’ils apportent à leur proche. Cette situation provoque bien souvent un phénomène d’épuisement physique et psychologique.

« La soupe à la grimace »

Parmi une dizaine de scènes jouées, « la soupe à la grimace » montre le retour du fils aîné, le temps d’un week-end en famille. Il est l’heure de passer à table, le fils, profite de passer du temps avec son père, lourdement handicapé, et décide de l’aider à manger. Pas facile de rester patient face à un adulte qui retourne sa cuillère avant même de l’avoir mise à la bouche ou qui réingurgite une fois sur deux. Comme prévu, le fils perd patience, et dit outrageusement à son père « Allez papa, c’est pas ton pantalon qu’on doit nourrir, je ne suis pas souvent là mais aujourd’hui, fais un effort ! ». Dans le théâtre de prévention, le spectateur peut interrompre le jeu à tout moment. Soit pour raconter une anecdote vécue, soit pour expérimenter une proposition de changement sur scène, en remplaçant ou en ajoutant le personnage de son choix. Les situations sont ensuite jouées une deuxième fois.

Quand le spectateur endosse le rôle d’acteur

A tour de rôle, les spectateurs rentrent en scène et se mêlent aux artistes. « La soupe à la grimace » fait entrer sur scène une jeune femme du public, déjà aidante. Comme si le théâtre était sa seconde nature, elle joue la sœur cadette. Elle sort en trombe de la cuisine en direction de la salle à manger et lance à l’acteur jouant son frère « Maman et moi, on est là toute la journée et toute la nuit avec papa. Papa a changé, il ne se déplace plus seul, ne mange plus seul, et ne se lave plus seul. Il ne sera plus jamais comme avant alors soit tu l’acceptes soit tu retournes chez toi ! ». Cette scène illustre d’une part, le mal-être, l’enfermement et l’état de fatigue de la sœur cadette et de sa mère, toutes deux dédiées corps et âme à accompagner le père dans la maladie. Et d’autre part, le dénis ou l’incompréhension de l’entourage face aux situations du réel.

« « C’est tabou mais je n’ai pas peur de le dire : les amis ont peur de venir à la maison, peur d’être confrontés à la maladie, peur de ne pas savoir ce qu’ils vont trouver à leur arrivée... Au-delà de la peur, les visites et les sorties sont de plus en plus rares car elles sont conditionnées par le malade, selon son niveau de dépendance. Programmer une heure de promenade me demande plusieurs heures de préparation » »

Une participante au forum

« On a perdu 80% de nos amis »

En écho au titre de l’article, la relation aidant-aidé impacte la famille concernée et apporte son lot de modifications dans l’organisation. Deux sœurs se sont particulièrement reconnues dans les scènes. Marie-Thérèse, aidante de son frère polyhandicapé depuis l’enfance, et Isabelle, aidante de son fils porteur de Trisomie 21 déplorent l’éloignement de beaucoup de leurs amis une fois le diagnostic tombé. « C’est tabou mais je n’ai pas peur de le dire : les amis ont peur de venir à la maison, peur d’être confrontés à la maladie, peur de ne pas savoir ce qu’ils vont trouver à leur arrivée… Au-delà de la peur, les visites et les sorties sont de plus en plus rares car elles sont conditionnées par le malade, selon son niveau de dépendance. Programmer une heure de promenade me demande plusieurs heures de préparation », révèle une autre participante. « De mon côté, cela fait 13 ans que j’emmène mon frère au restaurant et que je lui donne à manger sous le regard des autres, j’en ai pris l’habitude. Mais l’été nous partons mon mari et moi une semaine rien qu’à deux, ce sont nos vraies vacances. Nous confions mon frère à un établissement d’accueil spécialisé », ajoute Marie-Thérèse.

Aidant : ne pas surestimer ses forces

Par conséquent, la relation aidé-aidant implique souvent la présence d’aides venues de l’extérieur, pour des besoins en terme de soins médicaux, de soutien psychologique mais aussi d’aide pour les actes de la quotidienne. « Une animatrice de l’ADA60 vient chercher mon fils une demi-journée par semaine pour faire une sortie. Il est allé au bowling la dernière fois », Isabelle. Plusieurs réactions de participants amènent à constater qu’il est plus facile d’accepter une aide extérieure à partir du moment où son périmètre d’action se situe à l’extérieur de l’habitation. En témoigne Chantal « au départ je n’étais pas très à l’aise avec l’aide à domicile. J’avais l’impression d’une intrusion. Et puis au fil des semaines, nous avons pris nos marques et aujourd’hui j’ai quelques heures pour moi en semaine ». Le couple voisin fait également part de son expérience « Nous faire aider ? plus jamais ! Nous en avons eu plusieurs, des personnes différentes chaque semaine, plus ou moins volontaires et souvent trop jeunes pour faire ce métier. Beaucoup refusent l’aide car ils pensent savoir mieux faire que les autres quand il s’agit de s’occuper de son proche mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure ma femme et moi. Nous pensons que d’autres aides sont plus appropriées pour nous, comme les transports par exemple, etc…» 

Le forum : un point d’entrée pour connaître les dispositifs et structures de l’aide aux aidants 

Ces solutions dites de « répit » donnent la possibilité aux aidants de vaquer à leurs occupations via l’organisation auprès de la personne malade ou en situation de handicap des aides, de l’accompagnement et des soins nécessaires, à son domicile ou en établissement, sur des périodes variables. Rolande Weber, infirmière animatrice au centre social rural de Lamorlaye représentait la structure au forum « je remarque que les familles manquent d’information et ne savent pas vers quelle structure se tourner. Ils sont souvent perdus face aux dossiers administratifs qu’ils doivent remplir quand la dépendance de leur proche leur tombe dessus. C’est bien de rassembler tous les acteurs de l’aide aux aidants d’un même territoire. Je leur transmets les coordonnées des assistantes sociales de mon réseau. Nous sommes ici pour s’entraider, s’échanger les bons filons ! ». En réponse au besoin d’information, la Mutualité Française Hauts-de-France propose également aux participants de s’inscrire à un cycle de cinq ateliers gratuits s’étalant sur trois mois. L’occasion de libérer la parole en petit groupe, non loin de chez soi, et de rencontrer d’autres aidants sur les thématiques de la santé psychologique, physique, le lien social, la remobilisation, etc…